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Plan Cancer et essais thérapeutiques : que dit l’éthique médicale ?

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Essais thérapeutiques imposés au patient et au médecin par le Plan Cancer : quelles leçons tirer du code de Nuremberg de 1946 ?

L’« utilisation » presque systématique des patients atteints de cancer comme cobayes nécessite un rappel historique et une réflexion sur la légitimité des essais thérapeutiques comme méthode privilégiée de traitement. Faisant souvent référence au code de Nuremberg pour défendre le libre choix des patients en cancérologie, j’ai constaté que beaucoup s’interrogeaient sur ce code, sa genèse et son actualité, d’où cette tribune.

Ce code est né d’une prise de conscience d’un vide juridique dans le domaine de l’expérimentation sur l’Homme lors du procès des médecins nazis à Nuremberg en 1946-1947 : « Au terme des 133 jours du procès, le Ministère public a jugé nécessaire de rédiger un code de droit international sur l’expérimentation humaine avec des règles précises afin qu’il ne puisse plus se produire de dérapages éthiques. […] L’importance du Code de Nuremberg réside dans le fait qu’il a constitué le point de départ de la prise de conscience des dangers des progrès de la science et de la nécessité de l’encadrer par un certain nombre de règles. Il est considéré comme un code légal de droits humains et non comme un code de déontologie médicale qui devrait être appliqué seulement par des médecins » (1).

Le serment d’Hippocrate

Les actes criminels perpétrés par les médecins nazis dans les camps de Dachau, Buchenwald, Natzwiller, Auschwitz ou Ravensbrück portaient entre autres sur des expériences de stérilisation, les conséquences de l’ypérite sur l’homme, l’efficacité thérapeutique des sulfamides, les conséquences de différents poisons, celles du refroidissement thermique ou encore la vaccination contre le paludisme. Si 23 médecins des camps ont été jugés, de nombreux médecins allemands ayant bénéficié du fruit de ces expériences  ne furent jamais inquiétés. La plupart d’entre eux étaient « au courant » et les expériences médicales avaient été conduites avec l’aval des autorités, à l’aide de crédits publics, et planifiées en collaboration étroite avec les plus grandes institutions de recherche d’Allemagne.

Ce qui interpelle particulièrement dans la lecture des textes consacrés au procès est la nature de certains arguments de la défense des médecins tortionnaires. Le premier d’entre eux est le caractère obsolète du serment d’Hippocrate, datant de 25 siècles. N’entend-on pas aujourd’hui ce genre d’argument et notre serment n’a-t-il pas déjà été dénaturé sur plusieurs points ? Les injonctions du Plan Cancer – qui imposent les essais thérapeutiques chaque fois qu’il en existe ou, en leur absence, des traitements standardisés « pour faire progresser la recherche » – ne s’opposent-elles pas au serment d’Hippocrate ? Le médecin d’aujourd’hui est encore censé donner à son patient des soins consciencieux et conformes aux données acquises de la science.

« Servir la science »

A l'époque, l’argument massue de défense des médecins était la responsabilité du totalitarisme hitlérien : celui-ci donnait l’absolue priorité au collectif, la personnalité individuelle devant lui être soumise. Karl Brand, médecin personnel d’Hitler, a déclaré que « lorsque la personnalité est dissoute au sein du corps collectif, toute demande qui lui est soumise doit être dissoute au sein du concept de système collectif ; les besoins de la société sont maintenant des besoins individuels, et l’être humain, ce complexe individuel, sert uniquement à l’intérêt de la société » (2).

Ne doit-on pas réfléchir aujourd’hui aux discours que tiennent certains médecins aux patients effondrés sur l’intérêt pour la société d’accepter de signer « ces papiers » qui permettront à leur traitement de servir à la « science » ? Les injonctions du Plan Cancer conduisant à abandonner des traitements éprouvés au bénéfice des nouvelles molécules en essai seraient donc au bénéfice de la science d’abord ? Pauvre science, que de décisions autoritaires prend-t-on en ton nom.

L’organisation totalitaire du traitement du cancer

Les Plans Cancer depuis 2003, les circulaires de 2004 et 2005, les décrets de 2007 et la loi Bachelot de 2010 ont mis en place une organisation totalitaire du traitement du cancer qui, via les agences régionales de santé (ARS), la Haute Autorité de Santé et l’INCa, imposent aux cancérologues les traitements à donner à leurs patients, des essais thérapeutiques le plus souvent possible. La réunion pluridisciplinaire « de concertation » permet de surveiller que chaque médecin file droit. La désobéissance à l’organisation les fera exclure pour « incapacité à travailler collectivement en milieu hospitalier » (3).

Quant aux patients, ils n’ont ni le choix ni l’information puisque le terme « essai thérapeutique » est pudiquement remplacé par « protocole ». Ainsi, le Plan cancer, les lois sur lesquelles il s’appuie et ses conséquences sur la pratique médicale semble violer les droits fondamentaux du citoyen, et en particulier celui de ne pas être soumis aux essais sans son consentement libre et véritablement éclairé.

Le consentement éclairé du patient

Rappelons les principes édictés par le code de Nuremberg (4) : « Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela signifie que la personne intéressée doit jouir de la capacité légale totale pour consentir: elle doit être laissée libre de décider, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes de contraintes ou de coercition. »

Chacun doit méditer le bien-fondé de certains essais thérapeutiques, imposés de fait par l’argument d’autorité devant un patient en état de faiblesse suite à la révélation de son cancer ou devant des parents qui apprennent la maladie potentiellement mortelle de leur enfant. Les mots « contrainte,  supercherie, duperie ou autres formes de contraintes ou de coercition » prennent tout leur sens quand on pense aux parents qui entendent « c’est l’essai sinon les soins palliatifs » ou « on l’aidera quand il souffrira ».

L’intérêt supérieur de l’individu sur la recherche

La Déclaration de Genève de l’Association Médicale Mondiale (AMM) engage les médecins en ces termes : « La santé de mon patient prévaudra sur toutes les autres considérations. ». Le Code International d’Ethique Médicale déclare qu’« un médecin doit agir dans le meilleur intérêt du patient lorsqu’il le soigne ». Le devoir du médecin est de promouvoir et de sauvegarder la santé, le bien-être et les droits des patients, y compris ceux des personnes impliquées dans la recherche médicale. Si l’objectif premier de la recherche médicale est de générer de nouvelles connaissances, cet objectif ne doit jamais prévaloir sur les droits et les intérêts des personnes impliquées dans la recherche.

« Les risques doivent être constamment surveillés, évalués et documentés par le chercheur. La conception et la conduite de toutes les recherches impliquant des êtres humains doivent être clairement décrites et justifiées dans un protocole de recherche. Ce protocole devrait contenir une déclaration sur les enjeux éthiques en question et indiquer comment les principes de la présente Déclaration ont été pris en considération »Le protocole de l’essai devrait inclure des informations concernant le financement, les promoteurs, les affiliations institutionnelles, les conflits d’intérêts potentiels, les incitations pour les personnes impliquées dans la recherche et des informations concernant les mesures prévues pour soigner et/ou dédommager ceux ayant subi un préjudice en raison de leur participation à la recherche.

Toutes les personnes impliquées dans des recherches médicales devraient avoir le choix d’être informées des conclusions générales et des résultats de celles-ci : « Les risques encourus ne devront jamais excéder l’importance humanitaire du problème que doit résoudre l’expérience envisagée. […] Le scientifique chargé de l’expérience doit être prêt à l’interrompre à tout moment, s’il a une raison de croire que sa continuation pourrait entraîner des blessures, l’invalidité ou la mort pour le sujet. »

Mettre fin aux dérives éthiques du Plan Cancer

 L’Association Médicale Mondiale se réunit régulièrement pour revoir et ratifier la convention d’Helsinki. Lors de sa 64e assemblée générale qui s’est tenue à Fortaleza au Brésil en octobre 2013, elle a réaffirmé que « dans les recherches médicales, l’intérêt collectif ne doit jamais primer sur l’intérêt de l’individu ».

Avec ces quelques rappels, il semble incompréhensible que les autorités éthiques de ce pays ne s’emparent pas des dérives du Plan Cancer et de ses justifications juridiques pour faire revoir la loi. Il est grand temps que les élus, aidés par les associations, patients, soignants, juristes, philosophes et tous citoyens impliqués, se réunissent pour mettre fin urgemment à ce système totalitaire.

(1)      Ternon Yves, 1946-1996, le procès des médecins à Nuremberg : éthique, responsabilité civique et crimes contre l’humanité, Actes du colloque tenu à l’Unesco les 7 et 8 décembre 1996, Centre Rachi, Revue d’histoire de la Shoah (Paris), 1997; p. 24, cité par Bruno Halioua, Revue du praticien, vol 60, 20 mai 2010, « Le procès des médecins de Nuremberg » et Bruno Halioua, Le procès des médecins de Nuremberg. L’irruption de l’éthique médicale moderne, Éditions Vuibert, 2007.

(2)      Bayle François, Croix gammée contre caducée. Les expériences humaines en Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale, Neustadt (Palatinat), Commission des crimes de guerre, 1950, p.1473.

(3)      Cf. le licenciement de l’oncologue Eléonore Djikeussi par la direction du Centre National de Gestion des Praticiens Hospitaliers alors qu’aucune faute médicale n’a pu être retenue.

(4)      Revue du praticien, 2010

 

Source :

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http://www.maveritesur.com/andree-delepine/plan-cancer-et-essais-therapeutiques-que-dit-l-ethique-medicale/770/

Publiée : le 17/03/2014 |

Auteur :

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Nicole Delépine

Médecin oncologue, pédiatre et auteure des essais : « Le cancer, un fléau qui rapporte » (Editions Michalon, 2013), « La face cachée des médicaments» (Editions Michalon, 2011) et « Ma liberté de soigner » (Editions Michalon, 2006). Site internet : www.nicoledelepine.fr.

 



09/06/2015
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